Par Stéphanie Gandet – Avocate associée LEXION AVOCATS Spécialiste en droit de l’environnement
Deux décisions récentes relaxant les prévenus pour des infractions à la législation « espèces protégées » donnent un éclairage précieux sur les conditions dans lesquelles les délits de destruction d’espèces et d’habitats d’espèces sans dérogation peuvent être constitués.
Au-delà des règles juridiques, elles appellent la réglementation complexe qui est celle de la gestion des haies d’une part, et des forêts d’autre part.
- Le contexte : poursuites et relaxes pour atteinte aux habitats d’espèces protégées, condamnation pour destruction de spécimen
Le cabinet défendait :
- Une société dont le métier est la gestion forestière ;
- Un agriculteur sous sa forme d’exercice EARL, et son gérant, également poursuivi à titre personnel.
Ces entités étaient poursuivies pour
- Atteinte aux habitats naturels d’espèces protégées sans dérogation, s’agissant d’habitats présumés d’oiseaux, s’agissant de l’entreprise de gestion forestière ;
- Destruction non autorisée d’espèce animale protégée (en l’occurrence une espèce d’insectes) pour la personne physique seulement.
- Et altération ou dégradation non autorisée de l’habitat d’une espèce animale protégée (des espèces d’oiseaux et l’espèce d’insectes), s’agissant de l’exploitant agricole (EARL et personne physique).
Pour la société de gestion forestière, les poursuites donnèrent lieu d’abord à une condamnation en première instance, qui fut censurée par la Cour d’appel en 2023 qui a finalement entièrement relaxé, faute d’élément matériel, la société de l’infraction d’atteinte à la conservation d’habitats naturels en « violation des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l’article L. 411-1 et par les règlements ou les décisions individuelles pris en application de l’article L. 411-2, prévue par l’article L 415-3, c) du code de l’environnement. ».
S’agissant de l’exploitant agricole, le tribunal correctionnel de NEVERS a relaxé l’EARL pour les infractions relatives à la destruction d’habitat, en raison de l’absence d’élément « moral ».
Il a en revanche condamné la personne physique au regard des circonstances particulières pour la destruction d’un spécimen (larve d’insectes protégé).
Ces décisions sont l’occasion de revenir sur les deux motifs de relaxe, dans un contexte où ce type d’infraction donne lieu à un accroissement des poursuites par l’OFB.
- Contexte d’augmentation des poursuites par la police de l’environnement
Cette tendance d’augmentation des poursuites par la police de l’environnement part d’un constat (perte de biodiversité). Mais elle conduit à un certain nombre de situations où les personnes poursuivies font l’objet d’un volet répressif souvent disproportionné et n’atteignant aucunement le but recherché (la préservation de la biodiversité). Les agriculteurs en sont particulièrement l’objet, mais on peut aussi être préoccupés de voir le métier même de certaines entreprises être remis en question, tel que la gestion forestière.
Les deux décisions de relaxe sont des signaux bienvenus de rééquilibrage juridique. Elles illustrent l’équilibre subtil de ce type d’infraction, et les conditions qui doivent être démontrées pour qu’une condamnation soit justifiée.
Les infractions environnementales poursuivies, communément appelées infractions au régime « DEP » (« dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées »), sont des délits « non intentionnels » selon la Cour de cassation (Cass, 14 novembre 2023, n°22-86.922).
Mais le caractère non intentionnel ne signifie pas que la condamnation doit être automatique dès qu’une destruction ou une altération d’habitats est relevée.
C’est ce que rappellent ces deux décisions commentées.
- Illustration de la nécessité de caractériser un élément moral et matériel pour que les infractions soient constituées (Tcorr Nevers)
- La relaxe pour défaut d’élément moral : l’absente de faute d’imprudence ou de négligence
Le tribunal correctionnel de Nevers a relaxé l’EARL et son gérant, à titre personnel, en rappelant que l’élément moral de l’infraction est caractérisé par
- Une simple faute d’imprudence
- Ou une faute de négligence.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation (Cas, 1er juin 2010, n°09-87.159 et Cass, 14 novembre 2023, n°22-86.922).
Ici, le tribunal a jugé que cet élément moral faisait totalement défaut en se fondant sur plusieurs éléments établis par les pièces que nous avons produites :
- L’EARL et son gérant avaient « pris des précautions importantes avant d’entamer la réalisation des travaux » : prise de contact avec la DDT, dossier de destruction des haies, relances de la DDT, exécution des démarches conformément au flyer diffusé aux agriculteurs.
Le tribunal en déduit que les prévenus pouvaient croire « en toute bonne foi », avoir scrupuleusement respecté la marche à suivre.
- Les prévenus avaient réalisé les travaux de déplacement de haies en période hivernale, ce qui démontre une attitude précautionneuse selon le tribunal.
- De surcroît, la démarche « ERC » (éviter / réduire / compenser) avait été suivie par une opération de compensation par replantation de haies.
- Le Tribunal a aussi retenu notre argument sur le fait que les prévenus n’avaient « aucun indice juridique ou matériel leur permettant d’envisager d’adopter une démarche différente » . Cela a réfuté les allégations des parties civiles selon lesquelles le gérant étant Maire de la commune qui comporte, ailleurs, des zones Natura 2000, cela constituait en soi une faute d’imprudence.
Le tribunal a donc retenu que le simple fait d’être Maire d’un territoire comportant des zones protégées ne caractérisait pas une faute d’imprudence en matière de délit environnemental.
Le juge pénal reconnaît finalement dans sa décision que l’élément moral fait défaut pour les délits d’altération / dégradation d’habitats d’espèces protégées.
- La reconnaissance d’une réglementation complexe et d’un manque de communication par les services de l’Etat
Mais le Tribunal va plus loin et estime que « les faits de la présente procédure sont davantage la conséquence d’un manque de communication et d’information des services de l’Etat ».
Il est rappelé le contexte « particulier d’une réglementation foisonnante et complexe » (page 10/15 du jugement) notamment pour les agriculteurs.
Cela doit être salué car c’est en effet une réalité pour les acteurs du monde agricole, les haies faisant l’objet d’un mille-feuille réglementaire, qui devient un piège dès que cela se combine à des poursuites pénales de plus en plus fréquentes.
On peut estimer que la biodiversité serait davantage préservée par une véritable campagne de sensibilisation, coordonnée et avec une simplification des règles (pas seulement celles relatives aux haies), afin de rendre intelligibles les mécanismes de protection.
Rares sont les prévenus qui n’ont pas à cœur de préserver leur environnement (qui s’avère en outre être leur outil de travail..) et stigmatiser les acteurs du monde agricole et forestier élude les services rendus, notamment par la gestion du territoire et les opérations de replantations.
- La condamnation pour destruction de spécimen après avoir appliqué les critères du Conseil d’Etat sur la soumission à dérogation « espèce protégée »
Cette même décision a donc relaxé les deux prévenus pour les infractions de dégradation / altération d’habitats, mais il a condamné le gérant, à titre personnel, pour la destruction de spécimen de larve d’insectes protégé.
La décision est intéressante en ce que le juge pénal reprend (comme l’arrêt de la Cour d’appel commenté ci-dessous) les critères dégagés par le Conseil d’Etat pour déterminer si une dérogation « espèces protégées » était nécessaire (sans quoi l’infraction n’est pas matériellement constituée).
Mais en faisant application au cas d’espèce, il relève que dans le dossier pénal, une pièce établissait que le brûlis de chêne avait « menacé la conservation » de l’espèce. En définitive, la personne physique a été condamnée à une amende de 2500€ d’amende avec sursis, qualifiée de peine d’avertissement.
Même si on peut ne pas partager cette conclusion, le raisonnement juridique tenu reste pertinent : pour caractériser une infraction pénale, cela suppose la démonstration de la nécessité d’une dérogation.
- La relaxe justifiée par l’absence de preuve d’un « risque d’impact significatif » pour l’habitat des espèces (CA Dijon)
L’autre décision commentée est intéressante en ce que la Cour d’appel de Dijon retient l’absence d’élément matériel pour relaxer la société de gestion forestière.
C’est là à notre connaissance la première illustration de l’application par le juge pénal, des critères dégagés par l’avis du Conseil d’Etat le 9 décembre 2022.
Nous avions déployé un certain nombre d’arguments juridiques, qui demeurent à être tranchés par la Cour de cassation, notamment en matière de champ d’application du délit, et de lien entre réglementation forestière et réglementation propre aux espèces protégées (issue du Code de l’environnement).
Le dernier argument soulevé tenait au fait qu’aucune dérogation n ‘était nécessaire, par application des critères du Conseil d’Etat.
La Cour d’appel rappelle ainsi la position du prévenu :
Après avoir rappelé, à juste titre, le déclin de biodiversité et les textes applicables, le juge pénal analyse les pièces du dossier.
La Cour d’appel retient qu’il n’est « pas établi que les perturbations induites par les travaux auraient eu un effet significatif sur l’habitat des passereaux dans la forêt » :
Une telle conclusion doit être saluée : cela démontre que n’importe quel travaux, même réalisés au printemps (en l’occurrence dans un contexte de sortie de confinement lié au COVID 19 ayant bouleversé les plannings), ne sont pas systématiquement soumis à dérogation « espèces protégées »,… et donc qu’il n’y a pas forcément la commission d’une infraction pénale.
Le cabinet LEXION AVOCAT défend et accompagne des entreprises (agriculteurs, acteurs du monde forestier et de l’aménagement, industriels), notamment en droit pénal de l’environnement.
Pour plus de renseignements, veuillez contacter notre avocate associée Stéphanie Gandet