Par Me Stéphanie Gandet – avocat associé et Me Vanessa Sicoli – Lexion Avocats
Les projets d’unités de méthanisation sont de plus en plus l’objet de recours ces dernières années : c’est un fait.
Récemment, si certaines autorisations ont été annulées, elles l’ont été du fait, souvent, soit d’un mauvais choix de site, soit de dossiers n’ayant pas été régularisés correctement.
Mais il reste que l’immense majorité des recours sont rejetés, comme l’illustrent encore quatre décisions récentes.
Le cabinet, défendant les porteurs de projets biogaz contre plus de 140 recours, a obtenu 4 décisions ces dernières semaines qui montrent que le juge administratif reste extrêmement scrupuleux sur le respect des règles, et qu’un dossier solide associé à une défense pugnace peut conduire au maintien des décisions.
En particulier, les dernières décisions rendues montrent que les recours intentés par certaines associations restent soumis à des règles de procédure strictes, et que le contrôle du juge sur la maîtrise des risques est de plus en plus fin.
- Irrecevabilité d’une association pour défaut de capacité à agir (production d’un PV de conseil d’administration et non d’une assemblée générale) – TA Nantes, 4 novembre 2024
Un recours d’association contre un permis de construire une unité de méthanisation industrielle avait déjà été rejeté successivement pour absence d’intérêt à agir, puis défaut de capacité à agir (faute d’habilitation régulière). Nous l’évoquions ainsi dans un précédent article en date du 14 octobre 2024 (CAA Nantes, 4 oct. 2024, n° 24NT00131).
Cette même association vient de se faire débouter de son recours contre l’autorisation environnementale.
Dans un jugement du 4 novembre 2024, le Tribunal administratif de Nantes, saisi de la légalité de l’arrêté préfectoral d’autorisation ICPE, a rejeté le recours pour défaut de qualité pour agir de l’association (après un débat pourtant nourri sur le fond).
Le Tribunal rappelle finalement dans sa décision (TA Nantes, 4 novembre 2024, n°2400163) des règles de recevabilité importantes à garder à l’esprit.
En l’espèce, la formation de jugement a décidé de retenir la fin de non-recevoir soulevée par le Cabinet dans ses écritures.
L’association requérante n’avait produit dans l’instance contre l’arrêté d’autorisation ICPE, de la même manière que pour la requête d’appel introduite contre l’arrêté de permis de construire (CAA Nantes, 4 oct. 2024, n° 24NT00131) que des délibérations issues de son conseil d’administration et non de son assemblée générale afin de justifier de ce que la présidente avait qualité pour agir [pour un rappel des règles de capacité à agir des associations, voir notre article cité plus-haut].
Il ressort de la décision du Tribunal administratif de Nantes du 4 novembre 2024 que l’association requérante a bien produit une délibération de son assemblée générale extraordinaire (en essayant vainement de se rattraper) mais ce après la clôture de l’instruction.
Le Tribunal administratif de Nantes rappelle, par cette décision, que si le défaut de capacité à agir d’une association est régularisable, cette régularisation ne peut intervenir que jusqu’à la clôture de l’instruction, dès lors que rien ne fait obstacle à ce que cette régularisation intervienne avant.
Cette nouvelle décision vient illustrer l’importance pour la défense d’identifier les fins de non-recevoir et de ne pas présumer de la recevabilité des requérants.
- Rejet de recours d’une association pour défaut de capacité à agir (production d’un PV de conseil d’administration et non d’une assemblée générale)
Ensuite, deux décisions de rejet au fond ont également été obtenues par le Cabinet : l’un en enregistrement ICPE d’une unité industrielle, l’autre pour un permis de construire une méthanisation agricole.
- Validation d’un arrêté d’enregistrement d’une unité de méthanisation industrielle (CAA Bordeaux, n°24BX00265, 5 novembre 2024)
Dans le cas d’espèce, une société a le projet d’implanter une installation de méthanisation. Elle a donc obtenu un arrêté de la préfète de la Creuse en date du 19 décembre 2022, portant enregistrement de son installation.
Plusieurs communes, dont celle d’implantation du projet, une association et plusieurs requérants personnes physiques ont demandé au Tribunal administratif de Limoges l’annulation dudit arrêté préfectoral.
Par jugement du 7 décembre 2023 (TA Limoges, n°2300255, 7 déc. 2023), le Tribunal administratif de Limoges a rejeté le recours et a modifié l’arrêté ICPE afin d’imposer « le bâchage des matières solides végétales stockées sur la plateforme extérieure prévue à cet effet sur le site et (…) d’interdire le stockage des fumiers sur la plateforme extérieure de stockage des végétaux ».
Insatisfaits de cette décision, plusieurs requérants en ont interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
Par un arrêt en date du 5 novembre (CAA Bordeaux, n°24BX00265, 5 novembre 2024), le Cabinet a obtenu le rejet de la requête d’appel sur tous les moyens soulevés.
La cour retient ainsi que
- Le jugement de première instance était régulier ;
- Le dossier d’enregistrement est suffisant ;
- A supposer que le rapport de l’inspection des installations classées comporterait des erreurs, celles-ci seraient sans influence sur la régularité de l’arrêté préfectoral ;
- Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet présente un risque pour la sécurité publique ni que le projet devait être soumis pour ce motif à la procédure de l’autorisation ;
- L’arrêté du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d’eau ainsi qu’aux émissions de toute nature des ICPE soumises à autorisation ne s’applique pas aux ICPE soumises à enregistrement ;
- Des mesures propres à assurer une insertion paysagère ont été prévues ;
- L’absence d’étanchéité n’est pas démontrée par les requérants alors que des mesures ont bien été prévues par le pétitionnaire ;
- La perméabilité à 10-8 m/s souhaitée par les requérants ne figure pas dans les dispositions de l’arrêté du 12 août 2010 ;
- Les capacités de stockage prévues sont suffisantes ;
- Il ne résulte pas de l’instruction que la pétitionnaire n’aurait pas pris des mesures suffisantes pour limiter sa consommation d’eau ;
- Les requérants ne prouvent pas qu’en prévoyant les épandages via une rampe à pendillard ou à l’enfouisseur cela contreviendrait aux dispositions de l’article 46 de l’arrêté ministériel du 12 août 2010 ;
- Aucune disposition n’impose pour un projet en enregistrement de réaliser une étude acoustique.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a également condamné les requérants à verser solidairement à la société pétitionnaire la somme de 1500€.
- Validation d’un permis de construire une unité de méthanisation agricole (TA Caen, 9 octobre 2024)
Dans un jugement n°2102748 du 9 octobre 2024, le Tribunal administratif de Caen a rejeté l’ensemble des arguments dirigés contre un permis de construire une unité de méthanisation dans l’Orneet a condamné les requérants à verser 1500€ au porteur de projet.
Le Tribunal retient avec intérêt que
- S’agissant du contenu du dossier de demande de permis, que le code de l’urbanisme définit une liste limitative des éléments à joindre aux demandes d’autorisation d’urbanisme, qui impose seulement de préciser, au sein de la notice descriptive du projet, l’implantation, l’organisation, la composition et le volume des constructions projetées, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants. Il en déduit que les requérants ne peuvent pas critiquer l’absence d’indication relative aux nappes phréatiques, aux carrières, aux risques de retrait-gonflement d’argile, ou encore aux bâtiments protégés.
- De même, aucune disposition du code de l’urbanisme n’impose au pétitionnaire de mentionner l’existence d’un forage, même si ce dernier a pour vocation d’alimenter en eau la station de lavage ou la réserve incendie. En tout état de cause, le plan de masse « état actuel » matérialise l’existence d’un puits, ce qui conduit le Tribunal à rejeter l’argument.
- Les risques pour la sécurité et la salubrité ne sont pas établis, et cet argument est aussi écarté.
En réponse à un argument assez fréquent, le tribunal rappelle que le Préfet n’a pas à rechercher si le dossier de PC est cohérent avec le dossier ICPE :
« Il ressort des pièces du dossier que le dossier de demande de permis de construire contenait la preuve de dépôt de déclaration initiale d’une installation classée relevant du régime de la déclaration conformément aux dispositions précitées. En outre, en raison de l’indépendance de la législation sur les autorisations d’urbanisme et de la législation sur les installations classées, il n’appartenait pas à la préfète de rechercher si le dossier de déclaration de l’installation classée était cohérent avec le dossier de demande de permis de construire. »
S’agissant de la compatibilité du permis avec la zone A du PLU, autre argument assez classique, le Tribunal applique la jurisprudence du Conseil d’Etat en se référant dorénavant au code rural.
Il souligne que « le terrain d’assiette du projet se situe en zone agricole et qu’il fait déjà l’objet d’une exploitation par la société civile d’exploitation agricole C….. Il ressort des pièces du dossier que la SAS M…. est détenue par cette même société civile d’exploitation agricole laquelle fournira, avec le groupement agricole d’exploitation en commun D…, les matières entrantes nécessaires à l’unité de méthanisation, à savoir 3 700 tonnes de fumier de bovins, 2 400 tonnes d’ensilage d’herbe ainsi que 4 800 tonnes de cultures intermédiaires à vocation énergétique. Dans ces conditions, la construction projetée doit être regardée comme étant dans le prolongement de l’activité agricole existante et participant à sa diversification ; »
Ces décisions démontrent encore, s’il le fallait, que les recours engendrent certes beaucoup de perte de temps, d’énergie et d’argent, mais que des dossiers solidement constitués au départ, associés à une stratégie de défense forte et à la pugnacité des porteurs de projet restent la clé du succès.
Pour plus de renseignements, veuillez contacter notre avocate associée Stéphanie Gandet