Stockages déportés de digestat : le juge valide des refus de permis fondé sur l’incompatibilité avec l’activité agricole (CAA Bordeaux 19 décembre 2024)

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Par Stéphanie Gandet – Avocate associée LEXION AVOCATS Spécialiste en droit de l’environnement

La question de l’admissibilités des unités de méthanisation en zone agricole (se pose fréquemment.

Elle se pose quasiment dans les mêmes termes

  • dans les zones non constructibles en commune couverte par une carte communale,
  • ou en dehors des espaces urbanisés en l’absence de tout document)

cette question présente de nouvelles perspectives avec les derniers textes parus et elle concerne tant l’unité en elle-même que les équipements connexes, tels que les stockages de digestat pouvant être déportés.

Sur le terrain, les exploitants se trouvent parfois confrontés à des refus de permis de construire de tels stockages déportés  de digestat. Le motif d’une incompatibilité avec la zone est l’un des motifs récurrents (bien que souvent prétexte à une opposition motivée par d’autres raisons…).

Par deux arrêts du 19 décembre 2024 la CAA de BORDEAUX a validé des refus de permis de construire de deux communes qui s’opposaient à de telles implantation, en jugeant que

  • Des silos de stockage de digestat exploités par une société non détenue majoritairement par des exploitants agricoles n’est pas qualifiable d’installation agricole au sens du code rural.
  • Ils peuvent en revanche constituer une installation d’intérêt collectif pouvant être admis sous conditions, en zone non constructible de la carte communale (sous l’empire des règles alors applicables aux deux arrêtés en question, datant de début 2023…) ;
  • Or, le juge contrôle encore que l’installation d’intérêt collectif reste compatible avec l’activité agricole : en l’occurrence, après avoir pris en compte la surface de la parcelle, la configuration des lieux et le maintien ou non d’une activité agricole, il conclut dans les deux arrêtés à ce que les projets portent atteinte au caractère agricole de la zone :

Dans le premier cas : « En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que l’unité foncière sur laquelle doit être implanté le projet litigieux est d’une superficie totale de 17 155 m². L’emprise du projet litigieux est de 11 740 m², soit près de 70 % de la surface de l’unité foncière. La partie restante de cette unité foncière est en outre déjà occupée par un bâtiment de stockage de céréales et des silos à grains. La construction des silos de stockage de digestat, lesquels ne sont pas en eux-mêmes une exploitation agricole, aurait ainsi pour effet de compromettre l’exercice d’une activité agricole significative sur le terrain concerné. Dans ces conditions, si les silos litigieux peuvent être regardés comme des installations nécessaires à un service d’intérêt collectif, leur construction aurait, comme le soutient la commune de P…, pour effet de porter atteinte au caractère agricole de la zone, de sorte que leur construction ne pouvait être autorisée en application des dispositions précitées de l’article A2 du PLU de P…. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par la commune ».

Et dans le second, elle retient que la parcelle est en culture, et que la zone restant non occupée serait enclavée et ne serait plus susceptible de faire l’objet d’une exploitation agricole :

Il ressort des pièces du dossier que l’unité foncière sur laquelle doit être implanté le projet litigieux, d’une superficie totale de 16 650 m², est actuellement cultivée. L’emprise du projet est de 8 740 m², soit plus de 50 % de la surface de l’unité foncière, et se situe sur la partie ouest de cette unité, desservie par la voie publique. Ainsi que le soutient la commune appelante, sans être sérieusement contredite sur ce point, il ressort du plan de masse du projet et de la photographie aérienne de l’unité foncière que, eu égard à la présence de boisements au sud et à l’est de l’unité foncière et d’un fossé au nord de celle-ci, la partie restante du terrain se trouverait enclavée et ne serait, par conséquent, plus susceptible en l’état de faire l’objet d’une exploitation agricole. La construction des silos de stockage de digestat, lesquels ne relèvent pas en eux-mêmes d’une exploitation agricole, aurait ainsi pour effet de compromettre l’exercice d’une activité agricole significative sur le terrain d’assiette du projet. Dès lors, en admettant même que les silos litigieux puissent être qualifiés d’équipement collectif, leur construction serait, comme le soutient la commune de G…, incompatible avec l’exercice d’une activité agricole sur le terrain d’assiette du projet. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par la commune de G….. »

CAA Bordeaux, 3e ch., 19 déc. 2024, n° 24BX00403.

CAA Bordeaux, 3e ch., 19 déc. 2024, n° 24BX00404.

Les refus de permis de construire sont donc validés et le jugement de première instance qui avait d’abord donné raison à l’exploitant est censuré dans les deux affaires.

Ces deux exemples jurisprudentiels témoignent de la grande prudence qui reste indispensable pour les porteurs de projet quant à la faisabilité urbanistique des projets.

Cette admissibilité n’est pas automatique et dépend des règles applicables, de la commune en question et de la démonstration qui doit être contenue au sein des demandes d’urbanisme.