CAA NANTES, 27 juin 2025, req. n° 24NT01930
Par Maître Vladimir Estène, avocat, LEXION AVOCATS
La procédure d’attribution d’une convention de délégation de service public (DSP) repose sur le respect des dispositions du code de la commande publique (CCP) et du code général des collectivités territoriales (CGCT).
Les candidats à l’attribution d’une telle convention de DSP doivent démontrer qu’ils disposent des capacités nécessaires à son exécution, ainsi que l’impose l’article L.1411-5 du CGCT :
« I.-Une commission analyse les dossiers de candidature et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. »
Il s’agit du prolongement des exigences générales en matière de conditions de participation aux procédures de passation des concessions, figurant à l’article L.3123-8 du CCP.
Aux termes de l’article R. 3123-1 du CCP, l’autorité concédante vérifie donc les conditions de participation relatives aux capacités et aux aptitudes des candidats nécessaires à la bonne exécution du contrat de concession.
L’article R. 3123-19 du CCP permet aux candidats de s’appuyer sur les capacités et aptitudes d’autres opérateurs économiques : le candidat doit alors justifier des capacités et aptitudes de ces opérateurs économiques et apporter la preuve qu’il en disposera pendant toute l’exécution du contrat, ladite preuve pouvant être apportée par tout moyen approprié.
Si tel n’est pas le cas, l’autorité concédante doit en vertu de l’article L.3123-19 du CCP éliminer les candidatures incomplètes ou irrecevables.
Dans l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel de Nantes rappelle (CE, 14 décembre 2009, req. n° 325830) qu’il résulte de ces dispositions que :
« L’autorité délégante doit contrôler les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats à l’attribution de la concession.
Par ailleurs, alors même que l’autorité délégante peut exiger, au stade de l’admission des candidatures, la détention par les candidats de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence, lorsqu’elle a pour effet de restreindre l’accès du marché à des entreprises de création récente ou n’ayant réalisé jusqu’alors que des prestations d’une ampleur moindre, doit être objectivement rendue nécessaire par l’objet de la délégation et la nature des prestations à réaliser.
Dans le cas contraire, l’autorité délégante doit permettre aux candidats de justifier de leurs capacités financières et professionnelles et de leur aptitude à assurer la continuité du service public par tout autre moyen. »
En l’occurrence, il était notamment exigé par le règlement de la consultation que le dossier de candidature comprenne un dossier économique et financier comportant le chiffre d’affaires global et le chiffre d’affaires relatif aux prestations objet de la consultation au cours des trois derniers exercices.
Dans son arrêt, la cour administrative d’appel de Nantes relève que la société attributaire a été créée moins d’un an après le lancement de la procédure et qu’elle n’était pas en mesure de justifier de sa capacité financière par la production de certains des éléments prévus par le règlement de la consultation.
La société attributaire pouvait cependant justifier de sa capacité financière par tout autre moyen, ce qu’elle a fait en se prévalant des capacités financières de ses trois actionnaires.
Toutefois, elle s’est bornée à fournir des informations générales et lacunaires relatives à ces dernières, comme l’identité de leurs sociétés-mères, le chiffre d’affaires dégagé certaines années ainsi que le montant du capital social de celles-ci.
Aucun document ou élément produit par la société attributaire n’établissait un engagement formalisé sur le plan financier de la part de ces trois sociétés, ou d’un tiers, comme, par exemple, un établissement bancaire.
Les documents et éléments produits n’étaient dès lors pas de nature à justifier qu’elle aurait eu la capacité financière d’assumer la concession pour la gestion et l’exploitation de l’aéroport Vannes-Golfe du Morbihan en litige.
Sa candidature était, par suite, irrégulière et aurait dû, pour ce motif, être écartée par l’autorité concédante.
Les sociétés appelantes, évincées de la procédure, étaient alors fondées à soutenir que la procédure de passation de la concession en litige était entachée d’irrégularité et à solliciter une indemnisation à ce titre.
Pour rappel, le droit à indemnité dépend alors de la question de savoir si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat, dans le prolongement d’une jurisprudence constante (CE, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, req. n° 249630 ; CE, 28 février 2020, Société Régal des îles, req. n° 426162) :
« Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.
En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité.
Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre.
Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat.
Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, lequel est déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu’aurait procuré ce marché à l’entreprise, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique. »
Dans l’hypothèse dans laquelle le candidat évincé a droit à être indemnisé de son manque à gagner, l’appréciation du caractère certain du préjudice doit tenir compte de l’aléa qui affecte les résultats de l’exploitation et la durée de celle-ci, lorsque sont en cause des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l’exploitation (CE, 24 avril 2024, Commune de la Chapelle d’Abondance, req. n° 472038).
En l’espèce, pour justifier de la réalité de leur manque à gagner, les sociétés requérantes se sont prévalues du compte prévisionnel d’exploitation sur la durée du contrat qu’elles avaient joint à leur offre finale.
Ces documents indiquent que les soumissionnaires avaient évalué leur bénéfice total, sur toute la durée de la concession, après déduction des charges et avant impôt, à un montant de 681 867 euros, ce qui correspond à un taux de marge nette d’environ 5,2 %, qualifié de raisonnable.
La cour administrative d’appel de Nantes a jugé que ces éléments de preuve étaient de nature à démontrer la réalité du manque à gagner invoqué.
Une candidature non écartée alors qu’elle était irrégulière peut donc coûter très cher.
Cet arrêt rappelle ainsi aux autorités concédantes qu’elles ne doivent pas hésiter à écarter les candidatures irrégulières, si le règlement de la consultation ne prévoit pas la possibilité de procéder à une régularisation.
Par Me Vladimir Estène
