Collectivités territoriales et projets EnR : attention aux transferts de compétence !

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Par Gaspard Lebon – Avocat collaborateur LEXION AVOCATS

Les projets de production d’énergies renouvelables font de plus en plus souvent appel à un partenariat avec les collectivités territoriales.

Toutefois, des conditions sont à remplir, notamment sur la compétence de la collectivité et à ce titre, un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes vient apporter un éclairage intéressant.

En effet, par un arrêt en date du 19 avril 2024 (consultable ici), la Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur l’existence, ou non, d’un lien de dépendance entre la compétence des collectivités territoriales en matière de production d’EnR, et la possibilité donnée à ces mêmes collectivités de prendre des participations dans des sociétés ayant pour objet social la production d’EnR ou d’hydrogène renouvelable bas carbone.

A l’analyse, cette décision se révèle particulièrement favorable aux collectivités dans la conduite de leurs projets EnR.

Pour cause, la Cour y énonce qu’un transfert de la compétence en matière de production d’EnR n’a pas pour effet d’empêcher la commune dessaisie de prendre des participations au capital d’une société dont l’objet social est la production d’EnR.

Cette solution n’est toutefois pas exempte de son lot d’interrogations, surtout lorsqu’elle est comparée à la position des services de l’État en la matière, ainsi qu’à celle de certaines autres juridictions administratives.

Ainsi, aussi favorable que puisse être cette décision au développement de projets EnR locaux, elle commande tout de même d’adopter certains réflexes prudents en matière de compétence, surtout lorsque point le risque d’un déféré préfectoral.

La prise de participations de collectivités est encadrée par les textes.

En effet, le troisième alinéa de l’article L. 2253-1 du CGCT prévoit une dérogation au principe d’interdiction de toute prise de participations des communes et de leurs groupements dans le capital de sociétés commerciales :
« Par dérogation au premier alinéa, les communes et leurs groupements peuvent, par délibération de leurs organes délibérants, participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies
renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe.
L’acquisition de ces actions peut être réalisée au travers de la prise de participations au capital de sociétés commerciales ayant pour seul objet de détenir les actions au capital des sociétés mentionnées à la première phrase du
présent alinéa. »

L’article L. 2224-32 du CGCT dispose quant à lui que les collectivités territoriales sont titulaires d’une compétence en matière de production d’EnR :
« les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres, peuvent […] aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter […] toute nouvelle installation hydroélectrique, toute
nouvelle installation utilisant les autres énergies renouvelables définies notamment à l’article L. 211-2 du code de l’énergie
, toute nouvelle installation de valorisation énergétique des déchets ménagers ou assimilés mentionnés aux articles L. 2224-13 et L.2224-14 du présent code, ou toute nouvelle installation de production d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie, de cogénération ou de récupération d’énergie provenant d’installations visant l’alimentation d’un réseau de chaleur […] lorsque ces nouvelles installations se traduisent par une économie d’énergie et une réduction des pollutions atmosphériques. »

En l’espèce, le Conseil municipal d’une commune avait adopté une délibération, approuvant la prise de participations au capital d’une SAS dans le domaine de la méthanisation, sur le fondement de l’article 2253-1 du CGCT.

Dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet de la Mayenne avait demandé au maire d’inviter le Conseil municipal à retirer cette délibération, ce que le maire avait refusé, conduisant à l’exercice d’un déféré préfectoral devant le Tribunal administratif de Nantes.

En premier ressort comme en appel, à l’appui du déféré, les services de l’État ont soulevé le moyen tiré de ce que la délibération méconnaissait le principe de spécialité et d’exclusivité.

L’Etat arguait à ce titre que la commune ne pouvait légalement prendre des participations au capital de la SAS, puisque la faculté de prendre ce type de participations avait déjà été transférée au syndicat mixte dont elle était membre, du fait du transfert à cet EPCI de la
compétence en matière de production d’EnR de l’article L. 2224-32 du CGCT.

Pour le dire plus simplement : selon les services de l’État, une collectivité devrait nécessairement disposer de la compétence EnR de l’article L. 2224-32 du CGCT, pour pouvoir prendre des participations dans une société commerciale ayant pour objet social la
production d’EnR, sur le fondement de l’article L. 2253-1 du CGCT.

A la lecture de l’arrêt du 19 avril 2024, cette position de l’Etat n’est partagée ni par la CAA de Nantes, ni par le Tribunal administratif de Nantes en premier ressort, lesquels ont tous deux pris soin de décorréler ces deux chefs de compétence.

Ces deux décisions n’éludent pour autant pas les principes de spécialité et d’exclusivité, dont elles examinent ensuite le respect.


Dans un premier temps, l’arrêt énonce clairement qu’il ne ressort pas des termes de l’article L. 2253-1 du CGCT que ce dernier impose que les collectivités disposent de la compétence EnR au titre de l’article L. 2224-32 pour pouvoir participer au capital d’une société ayant pour objet social la production d’EnR.

Cela implique que selon la Cour, les articles L. 2224-32 et L. 2253-1 du CGCT instituent deux compétences distinctes et, surtout, indépendantes.

Elle prend d’ailleurs soin de justifier subtilement les raisons de cette distinction, en précisant que les dispositions de l’article L. 2253-1 ont, quant à elles, pour objet de définir des modalités d’intervention dans le champ économique, ce qui ne serait vraisemblablement pas le cas, à lire la Cour, de la compétence EnR de l’article L. 2224-32.


Reste que l’arrêt n’exclut pour autant pas l’examen du respect par la délibération déférée des principes de spécialité et d’exclusivité.

Sur ce point et, dans un second temps, la Cour constate que l’article 4 des statuts du syndicat mixte, prévoyant que l’EPCI « est autorisé à prendre des participations dans des sociétés commerciales ou coopératives dont l’objet social concerne l’un de ses domaines d’intervention selon les modalités légales et règlementaires et, en particulier, les dispositions de l’article L. 2253-1 du code général des collectivités territoriales », ne fait que rappeler les règles posées par ces dispositions, et ne peut être regardé comme opérant un transfert de compétence de la commune au syndicat mixte.

C’est en ce sens qu’avait déjà jugé le Tribunal administratif de Nantes en premier ressort, qui avait relevé que la faculté donnée au syndicat mixte de prendre ces participations lui était propre, et ne relevait pas « des compétences obligatoires et optionnelles qui lui ont été transférées par les communes membres telles qu’énoncées aux articles 3-1 et 3-2 de ses statuts ».

Aux yeux de la Cour administrative d’appel et du Tribunal administratif de Nantes, l’article L. 2253-1 du CGCT instituerait donc une compétence propre, indépendante de la compétence en matière de production d’EnR de l’article L. 2224-32.

Toujours selon l’arrêt du 19 avril 2024, les communes et leurs groupements pourraient donc, sous conditions, seuls ou concurremment (et non pas exclusivement), prendre des participations dans une société anonyme ou une SAS ayant pour objet la production d’EnR ou d’hydrogène renouvelable bas-carbone.

Cette possibilité suppose toutefois une rédaction minutieuse des statuts des EPCI, et demeure conditionnée par le fait :

  • Pour les groupements de communes, que leurs statuts les autorisent à prendre des participations dans une société anonyme ou une SAS ayant pour objet la production d’EnR ;
  • Pour les communes membres de ces groupements, que cette compétence n’ait pas été transférée puisque, dans ce cas, le principe d’exclusivité aura pour effet de dessaisir les communes de cette compétence. C’est d’ailleurs le raisonnement que semble avoir adopté le Tribunal administratif de Rennes dans un jugement du 25 janvier 2024 (consultable ici).
    Sous ces auspices, l’arrêt de la CAA de Nantes pourrait donc poser les jalons d’un développement plus efficace des projets EnR Locaux.

    Pourtant, une ombre au tableau demeure, en ce que cette position de l’arrêt du 19 avril 2024 ne coïncide pas :
  • Avec la position de l’administration. En témoignent les déférés préfectoraux récurrents en la matière, aux termes desquels les services de l’État estiment que les prises de participations autorisées par l’article L. 2253-1 du CGCT sont nécessairement liées à la compétence EnR de l’article L. 2224-32 (voir également Rép. Min. JO Sénat, 17 septembre 2020, p. 4279) ;
  • Avec le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 25 janvier 2024 tel qu’explicité par le Tribunal lui-même dans sa publication des décisions marquantes de janvier-février 2024. A cette occasion, la juridiction a en effet commenté cette décision, en analysant qu’ « à partir du moment où les différentes communes membres d’une communauté de communes avaient décidé de transférer à cette dernière leurs compétences en matière d’aménagement et d’exploitation d’installations de production d’énergies renouvelables [i.e. article L. 2224-32 CGCT], seule la communauté de communes pouvait décider de prendre une participation au capital d’une société commerciale ayant pour objet cette activité de production d’énergie [i.e. article L. 2253-1 CGCT] ».

Face à ce contexte invitant à la prudence et, dans l’attente d’une décision du Conseil d’État sur ce point, la prudence dans la rédaction des actes est recommandée.

Le cabinet se tient à la disposition des collectivités et des porteurs de projets, tant pour procéder à une analyse et à la sécurisation juridique des statuts, que pour déterminer le montage le plus adapté pour vos projets EnR.