Marchés publics : le soumissionnaire illégalement évincé d‘une procédure de passation peut réclamer des dommages et intérêts en raison d’une perte de chance

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affaire C-547/22 du 6 juin 2024 – INGSTEEL spol. s r. o

Cette affaire est née de l’éviction irrégulière d’un consortium d’une procédure de passation d’un marché public portant sur des travaux de reconstruction, de modernisation et de construction de seize stades de football en Slovaquie. L’une des entreprises a saisi le tribunal de district de Bratislava II (Slovaquie) d’un recours en dommages et intérêts au titre du préjudice qu’elle prétendait avoir subi suite à l’exclusion du consortium de cette procédure.

Saisie sur renvoi préjudiciel du tribunal de district de Bratislava II, la Cour de justice de l’Union européenne a été invitée à interpréter l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/665/CEE modifiée du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux.

Pour rappel, cet article, intitulé « Exigences en matière de procédures de recours », dispose :

« 1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

a)            de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher qu’il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par le pouvoir adjudicateur ;

b)            d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause ;

c)            d’accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation ».

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que cet article de la directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale excluant par principe la possibilité, pour un soumissionnaire évincé d’une procédure de passation de marché public en raison d’une décision illégale du pouvoir adjudicateur, d’être indemnisé au titre du préjudice subi du fait de la perte de chance de participer à cette procédure en vue d’obtenir le marché concerné.

La Cour de justice a également considéré dans cet arrêt que, si un préjudice peut résulter de la non-obtention, en tant que telle, d’un marché public et se matérialiser comme un manque à gagner, il est également possible pour le soumissionnaire ayant été illégalement évincé de subir un préjudice distinct, lequel correspond à l’opportunité perdue de participer à la procédure de passation concernée en vue d’obtenir ce marché (point 39 de l’arrêt).

La Cour a précisé qu’il appartient, en l’absence de dispositions de l’Union en ce domaine, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les critères sur la base desquels le dommage résultant de la perte d’une chance de participer à une procédure de passation d’un marché public en vue d’obtenir ce dernier doit être constaté et évalué (point 45 de l’arrêt) sous réserve que les critères jurisprudentiels fixés soient compatibles avec les objectifs fixés par la directive 89/665/CEE.

En France, ces critères ont été fixés dans un récent arrêt du Conseil d’Etat en date du 24 avril 2024 (req. n°472038, publié au recueil Lebon).

Communiqué de presse n° 95/24 sur l’arrêt de la CJUE