CE, 17 mars 2025, req. n° 492664 : publié au Rec. CE
Par Maître Vladimir Estène, avocat, LEXION AVOCATS
Les modalités de détermination de la durée des concessions, en ce compris les délégations de service public (ci-après « DSP »), sont fixées à l’article L.3114-7 du code de la commande publique (« CCP »), qui dispose que :
« La durée du contrat de concession est limitée. Elle est déterminée par l’autorité concédante en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire, dans les conditions prévues par voie réglementaire. »
Lesdites conditions prévues par voie réglementaire figurent à l’article R.3114-2 du CCP, qui définit la notion d’investissements :
« Pour la détermination de la durée du contrat de concession, les investissements s’entendent comme les investissements initiaux ainsi que ceux devant être réalisés pendant la durée du contrat de concession, lorsqu’ils sont nécessaires à l’exploitation des travaux ou des services concédés.
Sont notamment considérés comme tels les travaux de renouvellement, les dépenses liées aux infrastructures, aux droits d’auteur, aux brevets, aux équipements, à la logistique, au recrutement et à la formation du personnel. »
Pour les concessions d’une durée supérieure à cinq ans, l’article R.3114-2 du CCP limite la durée la durée du contrat en la corrélant à celle d’amortissement des investissements, en tenant compte de la nécessité d’escompter un retour sur les capitaux investis :
« Pour les contrats de concession d’une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu’il amortisse les investissements réalisés pour l’exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l’exécution du contrat. »
Pour l’application des dispositions antérieurement en vigueur, puis reprises dans le CCP dans les articles précités, le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’apporter d’utiles clarifications, rappelées par le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sur l’arrêt commenté :
« Vous avez déduit de ces dispositions que la durée normale d’amortissement des installations susceptible d’être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers – que cette durée coïncide ou non avec la durée de l’amortissement comptable des investissements. En outre, le point de départ de l’amortissement étant la date d’achèvement des investissements et de mise en service de l’ouvrage, il convient, afin d’évaluer la durée maximale de la délégation, d’ajouter le temps nécessaire à la réalisation de ces investissements à leur durée normale d’amortissement (nous citons là le dernier état de votre jurisprudence, posée par vos décisions CE, 11 août 2009, Société Maison Comba, req. n° 303517, T. p. 833 ; CE, 8 février 2010, Commune de Chartres, n° 323158, T. p. 846 et CE, 31 octobre 2024, Commune de Fontainebleau, n° 487995, à mentionner aux Tables). »
Si les modalités de détermination de la durée maximale d’une concession sont ainsi établies, le Conseil d’Etat n’avait pas encore eu l’occasion d’apprécier comment ces règles pouvaient s’appliquer à un ensemble contractuel englobant plusieurs services distincts.
Pour rappel, la possibilité pour l’autorité délégante de conclure des concessions « multi-services », qui repose sur l’absence d’obligation de procéder au moindre allotissement, a été reconnue par un arrêt de principe rendu en 2016 (CE, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon et Société Keolis, req. n° 399656, 399699) :
« Aucune disposition législative ni aucun principe général n’impose à la collectivité publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité de conclure autant de conventions qu’il y a de services distincts ; qu’elle ne saurait toutefois, sans méconnaître les impératifs de bonne administration ou les obligations générales de mise en concurrence qui s’imposent à elle, donner à une délégation un périmètre manifestement excessif ni réunir au sein de la même convention des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux. »
Par l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat juge que le choix de conclure une concession « multi-services » ne permet pas de déroger aux règles qui s’imposent à l’autorité délégante pour la dévolution et l’exploitation de ces services, ce qui induit que :
« La durée d’un tel contrat ou ensemble contractuel ne peut, sauf à méconnaître les dispositions de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales précédemment citées, excéder la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement, compte tenu des contraintes d’exploitation liées à la nature des services, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers. »
Le Conseil d’Etat juge cependant qu’une durée unique peut être prévue quand bien même la règle de fixation de la durée n’est pas respectée pour chaque service pris individuellement, sous certaines conditions liées à une meilleure gestion des services d’une part, et à une appréciation de la durée unique sur l’ensemble contractuel pris globalement d’autre part :
« Dans le cas où la délégation des différents services est prévue pour une durée unique qui n’apparaît pas justifiée pour chacun d’entre eux, une telle durée unique ne peut alors être valablement prévue que si l’exploitation conjointe des services considérés est de nature à assurer une meilleure gestion de ceux-ci et si la durée unique correspond à la durée normalement attendue pour que le concessionnaire puisse couvrir les charges d’exploitation et d’investissement de l’ensemble des services ainsi délégués, compte tenu des contraintes d’exploitation, des exigences du délégant et de la prévision des tarifs payés par les usagers. »
En l’espèce, la commune de Béthune et la société Q-Park France ont conclu, le 5 mars 2005 :
- Un contrat de délégation du service public du stationnement sur voirie ;
- Un contrat de concession pour la construction et l’exploitation d’un parc public de stationnement souterrain sous la Grand’Place de la ville ;
- Un contrat d’affermage pour la rénovation et l’exploitation du parc public de stationnement souterrain « Georges Clemenceau » ;
- Un quatrième contrat dit « commun » comportant des stipulations applicables à l’ensemble de ces contrats.
Statuant sur le pourvoi en cassation formé par la commune de Béthune à l’encontre de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai ayant rejeté l’appel formé par cette commune contre le jugement du tribunal administratif de Lille ayant rejeté sa demande d’annuler l’ensemble contractuel, le Conseil d’Etat rejette ledit pourvoi.
Pour ce faire, il juge notamment que :
- La cour a, sans erreur de droit, exactement qualifié les faits de l’espèce, en jugeant que les quatre contrats formaient un ensemble contractuel indissociable, dès lors que ces quatre contrats :
- Ont fait l’objet d’une même procédure de passation ;
- Ont été conclus à la même date pour une même durée ;
- Poursuivent le même objectif de répondre à un besoin de la commune en matière de stationnement, visant à atteindre un équilibre économique tenant compte de façon globale des investissements, des recettes et des charges prévisionnelles de toutes les activités liées au stationnement, sur la voirie et dans les parcs souterrains.
- La cour n’a pas commis d’erreur de droit en recherchant si cette durée unique pouvait être regardée comme n’excédant pas la durée normale d’amortissement de l’ensemble des investissements mis à la charge du délégataire dans le cadre de l’ensemble contractuel portant sur le stationnement sur la voirie et dans les parcs pour apprécier si ces contrats avaient pu être valablement conclus pour une durée unique de trente ans et se prononcer sur le moyen tiré de ce que cette durée était excessive pour ce qui concerne la délégation du service relatif au stationnement sur la voirie et le contrat d’affermage portant sur le parc de stationnement existant ;
- Pour retenir que la durée unique n’était pas excessive, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine des faits exempte en dénaturation en se fondant sur :
- Le montant des investissements initiaux et celui des charges d’exploitation ;
- Le fait que la commune de Béthune se bornait à se référer à un rapport de la chambre régionale des comptes sans apporter aucun élément laissant supposer que, eu égard au montant des subventions publiques, le délégataire pourrait couvrir ses charges d’exploitation et d’investissement en moins de trente ans ;
- La subvention d’équipement versée pour évaluer les investissements du délégataire ;
- Les contraintes d’exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, tenant à l’obligation pour la société Q-Park France de ne pas intervenir dans l’organisation et la tarification du stationnement, aux prévisions des tarifs payés par les usagers et à la durée nécessaire à la réalisation des investissements.
Par Maître Vladimir Estène
