Par Yann Borrel – Associé responsable du pôle d’expertise Affaires Publiques
Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux le 3 juin 2014 (CAA Bordeaux 3 juin 2014, commune d’Audenge, req n° 12BX03107) reconnaît que l’exploitant en titre d’un centre de stockage de déchets peut mettre à la charge de l’exploitant de fait le coût de mesures liées à la remise en état du site (1.). Ces obligations de nature contractuelle coexistent aux côtés des obligations administratives de remise en état relevant de la police des installations classées et visant, en principe, l’exploitant en titre (2.).
1. L’exploitant en titre peut mettre à la charge de l’exploitant de fait le coût de mesures liées à la remise en état
Dans l’affaire commentée, la Cour a jugé qu’une personne publique avait pu confier à un tiers, dans le cadre d’un contrat relatif à l’exploitation d’un centre de stockage de déchets, diverses obligations liées à la fin d’exploitation et à la remise en état du centre, alors même qu’elle était restée l’exploitant en titre.
Les faits de l’espèce étaient les suivants. Une commune avait confié à une entreprise l’exploitation d’une partie d’un centre d’enfouissement technique et de stockage de déchets qu’un arrêté préfectoral pris au titre de la législation relative aux ICPE avait autorisé sur le territoire de cette commune. Le contrat comportait plusieurs obligations liées à la fin d’exploitation et à la remise en état du site. En l’absence d’exécution par son cocontractant de ses obligations, la commune les avait semble-t-il fait exécuter par un tiers et avait émis à l’encontre de son cocontractant plusieurs titres exécutoires correspondant aux sommes dont elle entendait obtenir le remboursement. La Cour administrative d’appel a reconnu que la plupart des titres exécutoires étaient légaux, dès lors qu’ils satisfaisaient aux exigences de motivation prévues par l’article 81 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, alors en vigueur.
Bien que cela n’ait pas été précisé dans les motifs de l’arrêt, il paraît logique de considérer que le contrat répondait aux critères de qualification de marché public de services. En effet, il avait été conclu à titre onéreux par la commune, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, avec un opérateur économique, pour répondre à un besoin exprimé en matière de services. La circonstance que le
contrat ait été conclu par la commune « pour son propre compte et à ses propres risques » (cf., considérant n° 1 de l’arrêt) implique que son cocontractant n’assumait pas une part significative du risque d’exploitation et, en conséquence, que le contrat ne relevait pas de la qualification de délégation de service public, mais bien de marché public (CE 7 novembre 2008, département de la Vendée, rec. p. 805, a contrario). Bien qu’il ait été conclu avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 dite MURCEF, ce contrat était administratif par détermination de la loi en application de l’article 2 de cette loi (cf., CE avis 29 juillet 2002, société MAJ Blanchisseries de Pantin, req. n° 246921). La Cour était compétente pour apprécier la validité de ses stipulations et leur respect par les parties.
Dans ce cadre, la Cour a considéré que le cocontractant de la commune n’était pas fondé à s’exonérer de ses obligations contractuelles liées à la fin d’exploitation du site en faisant valoir que la commune serait restée exploitant en titre. La Cour a ainsi jugé que « pour demander l’annulation des titres en litige, la société Edisit soutient que la commune d’Audenge étant toujours l’exploitant en titre de l’installation en cause, en l’absence de substitution régulière d’exploitant, c’est à cette dernière qu’incombe l’obligation de remise en état des lieux; que toutefois, il résulte du contrat d’exploitation du 26 février 1997 que la société Edisit a bien été chargée de l’exploitation du site; que par l’émission des titres en litige la commune d’Audenge n’a pas demandé à la société Edisit de répondre aux obligations légales issues du code l’environnement mais de respecter les obligations du contrat d’exploitation du 26 février 1997 qui n’avait pas été annulé; que par suite, le moyen tiré de ce que l’obligation de remise en état ne pourrait peser sur la société Edisit est, en tout état de cause, inopérant » (considérant n° 7).
2. Des obligations contractuelles de remise en état de nature distincts des obligations de la police ICPE
Même s’il ne se prononce pas expressément sur ce point, l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux ne nous semble pas remettre en cause la jurisprudence la plus récente du Conseil d’Etat concernant le débiteur de l’obligation administrative de remise en état. En effet, il ressort de cette jurisprudence qu’en présence d’un exploitant en titre, « l’obligation de remettre en état le site d’une installation classée qui a fait l’objet d’une autorisation pèse sur l’exploitant, lequel doit s’entendre comme le titulaire de cette autorisation, et que le changement d’exploitant est soumis à une procédure d’autorisation préfectorale » (CE 29 mars 2010, communauté de communes de Fécamp, req. n° 318886, concl. Guyomar, RJEP n° 678, Août 2010, comm. 41). Dans le droit de fil de sa solution prononcée dans l’arrêt société la Quinoléine et ses dérivés (CE 24 mars 1978, rec. p. 155), le Conseil d’Etat a jugé dans sa décision en date du 29 mars 2010 que l’existence d’un contrat confiant à un tiers l’exploitation de l’installation n’était pas, en l’absence d’une autorisation de changement d’exploitant, de nature à faire perdre à la personne publique délégante la qualité d’exploitant qu’elle avait reçue par autorisation préfectorale et à l’exonérer de
ses responsabilités en matière de remise en état du sit0 (on relèvera que dans l’arrêt du 24 mars 1978, le contrat en cause était de droit privé, alors qu’au cas particulier, il s’agit d’un contrat administratif).
Ainsi, en principe, l’obligation administrative de remise en état du terrain pollué ne pèse, en présence d’un exploitant en titre, que sur le dernier exploitant, sans que celui-ci ne puisse s’en affranchir en faisant valoir que l’exploitation aurait été dévolue contractuellement à un tiers. Pour autant, le juge administratif a admis que tout ou partie du coût de cette remise en état puisse être contractuellement transférée à ce tiers ou à un autre tiers. A titre d’exemple, dans un arrêt en date du 7 août 2003, la Cour administrative d’appel de Paris a-t-elle jugé que le débiteur d’une convention de garantie de passif environnemental, qui n’était pas l’exploitant en titre, était tenu d’assumer le coût des opérations de remise en état qui avaient été prescrites à l’exploitant en titre par un arrêté préfectoral (CAA Paris 7 août 2003, société ELF Atochem, req. n° 98PA02345). On rappellera que la loi ALUR (loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) entend encourager les exploitants à contractualiser la remise en état des sites industriels. En effet, cette loi a introduit un nouvel article L. 512-21 dans le code de l’environnement, qui prévoit qu’un tiers intéressé peut demander au représentant de l’Etat de se substituer à l’exploitant, avec son accord, pour réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l’usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné.
Dans l’arrêt commenté, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a admis que le coût de mesures liées à la remise en état avait pu être confié à l’exploitant de fait, dans le cadre d’un marché public. Au cas particulier, la confusion avec l’obligation administrative de remise en état était d’autant moins permise qu’il n’avait pas contractuellement demandé à l’exploitant de fait de « répondre aux obligations légales issues du code l’environnement mais de respecter les obligations du contrat d’exploitation du 26 février 1997 qui n’avait pas été annulé ».
D’un côté, l’exploitant en titre ne peut se retrancher derrière un contrat afin de tenter s’exonérer de son obligation administrative de remise en état. De l’autre, l’exploitant de fait ne peut s’affranchir du contrat pour tenter de s’exonérer de son obligation de payer le coût de tout ou partie de ces obligations.
Archive : Article paru en 2014
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