Quand le propriétaire non exploitant devient, malgré lui, exploitant « de fait »

You are currently viewing Quand le propriétaire non exploitant devient, malgré lui, exploitant « de fait »

Par un arrêt en date du 26 avril 2024 qui sera mentionné dans les tables du recueil Lebon ( req. n° 467046 et conclusions), les sixième et cinquième chambres réunies du Conseil d’Etat ont jugé que le propriétaire non exploitant d’un terrain sur lequel a été autorisée l’exploitation d’une ICPE acquiert le statut d’exploitant de « fait » lorsque, confronté à l’abandon par son preneur à bail de déchets sur son terrain, il les fait évacuer provisoirement vers un autre site avant d’initier des démarches pour les faire traiter :

« 3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Foncière Industrie, d’une part, a fait procéder de sa propre initiative, à l’évacuation des déchets non dangereux qui étaient stockés par la société Collectors dans l’entrepôt de Mornant dont celle-ci était l’exploitante, d’autre part, a fait entreposer ces déchets sur un autre site qu’elle a loué à cette fin à Brignais, et, enfin, a entrepris des démarches en vue de leur traitement en en faisant expédier une partie vers l’Allemagne. Dans ces circonstances, la cour, en estimant que le déplacement des déchets en cause était sans incidence sur leur qualification, et en jugeant que la société Foncière Industrie ne pouvait être regardée comme exerçant, de fait, sur le site qu’elle avait retenu à Brignais, une activité de transit et de regroupement de déchets lui conférant la qualité d’exploitant d’une installation relevant de la rubrique 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, distincte de l’installation située à Mornant et faisant l’objet de la mise en demeure antérieure de remise en état du site adressée par le préfet à la société Collectors, a entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de qualification juridique des faits. »

Cette solution jurisprudentielle sonne comme un avertissement pour les propriétaires de site industriels donnés à bail pour l’exercice d’activités de traitement de déchets. Il arrive malheureusement que des propriétaires de bonne foi se retrouvent confrontés à la défaillance de leur preneur-exploitant « en titre » laquelle se manifeste le plus souvent par l’abandon des déchets résultant de leur activité classée sur le site donné à bail. Les propriétaires se retrouvent alors dans l’impossibilité de relouer leur terrain avec, en sus, des déchets « sur les bras ».

Au vu de la décision du Conseil d’Etat, les propriétaires doivent s’abstenir de faire procéder à l’évacuation des déchets et de les faire traiter au risque d’être qualifiés d’exploitant « de fait » et de se voir transférer les responsabilités résultant d’une telle qualification juridique. Moralité : en pareille situation, le propriétaire non exploitant a intérêt à ne pas se faire justice lui-même et à s’en remettre à la diligence de l’administration des I.C.P.E ou à se pourvoir en justice, soit contre le preneur s’il est encore solvable, soit contre les producteurs et anciens détenteurs de déchets s’ils sont connus…